FOOTBALL/ LES DIEUX AURAIENT-ILS ABANDONNÉ LES ÉPERVIERS ?

Cela fait quatre éditions de la coupe d’Afrique des nations de football que les Eperviers du Togo vont regarder à la maison. Depuis 2017, la sélection nationale de football connaît un destin pitoyable et inquiétant. Chaque saison qui s’annonce vient avec ses rêves mais la fin est toujours la même : la désillusion. Plusieurs courants de pensée trouvent que le problème est parapsychologique et, en 2022, l’autorité politique a mordu à l’appât en organisant ce qu’on a appelé « le rituel traditionnel d’inhumation » quelque part au stade de Kégué à Lomé. Censé réconcilier les Eperviers avec les dieux et ainsi baliser la voie à une nouvelle série de victoires et de qualification aux phases finales de la coupe d’Afrique des nations de football. Trois ans, c’est le statu quo, les Eperviers ne se sont toujours pas qualifiés à une CAN, les Eperviers ne gagnent pas tous leurs matches, ils en gagnent difficilement d’ailleurs. Les dieux auraient-ils tourné le dos au Togo du football ? Le problème serait-il ailleurs ? Les Eperviers semblent à la croisée des chemins et l’opinion publique est dorénavant dans le doute. Le grand doute.

L’opinion nationale togolaise a découvert l’information du rituel traditionnel d’inhumation dans la mi-journée du 19 juin 2022. Les images renseignent que la ministre des sports et des loisirs était présente, assistée du président de la fédération togolaise de football et de ses collaborateurs, quelques représentants des victimes et des prêtres vodou qui avaient la charge du déroulement du rituel. Un parent de victime nous a confié plus tard que cette cérémonie devrait rester « secrète » et tout avait été mis en œuvre à cet effet. « C’est seulement après que tout était prêt sur place que certaines personnes ont souligné l’importance de la présence des médias », raconte J. A., représentant d’une victime. Cette source a expliqué que, en partie, ce sont les parents des victimes du crash d’hélicoptère survenu le 3 juin 2007 à Lungi en Sierra-Léone, qui ont exigé la tenue de la cérémonie.

LES OFFICIANTS DU RITUEL D’INHUMATION SYMBOLIQUE DEVANT LE TOMBEAU

Retrouver les sommets

Quel en était l’objectif ? Pourquoi le 19 juin 2022 treize cercueils symboliques ont été ensevelis quelque part dans la cour intérieure du stade de Kégué ? « Permettre aux âmes de nos frères et sœurs tombés de revenir reposer en paix au pays », avait indiqué la ministre Lidi Bessi Kama. « Pour être respectueux des us et coutumes de notre pays, nous avons le devoir d’accompagner nos frères pour que leurs âmes puissent reposer en paix », avait-elle souligné, en indiquant que la cérémonie de ce jour était le couronnement d’un parcours spirituel entamé le 3 juin 2022. Détail important : l’accident d’hélicoptère de Lungi est survenu un 3 juin 2007 et c’est à la même date que le parcours rituel a commencé pour aboutir à l’inhumation symbolique des cercueils des treize victimes. Dans ce parcours, il y a eu la visite sur les lieux du crach à Lungi, en Sierra-Leone, le 3 juin 2022 d’une délégation de prêtres vodou. Composée de Togbui Djidjoli, chef du quartier Aflao Gakli à Lomé, Tokpui Hounkpeto de Sanguera, un vanton à l’ouest de Lomé, Togbui Adogou Komlan, les prêtresses vodou Maman Gada et Maman Awoudo, la délégation était allée sur le tarmac de l’aéroport de Lungi et y a fait des rituels. Ceux-ci, grosso modo, consistaient à « capter les âmes meurtries et affligées, errantes surtout, des treize victimes, à les enfermer dans des bocaux rituels puis à les ramener sur la terre de leurs aïeux », selon les clarifications de Togbui Wawa Ablode, président d’une association de prêtres vodous du Togo.

Togbui Wawa a expliqué à Mawakisports365 que, selon les croyances du sud Togo, les personnes décédées de mort violente méritent un traitement particulier, un rituel spécifique. « Une mort violente met l’âme du défunt dans tous ses états. Il est excité et agité, il erre dans le monde invisible, à la qiête de la paix. Il faut un rituel particulier pour les enterrer et c’est parce qu’ils sont des morts entièrement à part que leur cimetière est à l’écart des cimetières ordinaires, ce qu’on appelle le cimetière des mal-morts », a-t-il confié. Dans les faits, c’est cette croyance qui est à la base de la cérémonie du 19 juin 2022. Notre source, J. A. a ajouté que l’association des parents des victimes avait fait observer que depuis 2007 les autorités politiques semblent avoir oublié les âmes des victimes et que celles-ci sont en errance quelque part dans les égrégores sierra-leonais et togolais, quérant la paix et le repos éternel. « Comment voulez-vous que la sélection nationale de football, pour laquelle ces personnes ont donné leurs vies, puisse connaître une fortune heureuse pendant que les âmes de ces treize victimes continuent de souffrir dans leur errance ? », a rapporté J.A., levant le voile sur une frustration partagée au sein des parents des victimes.

La ministre Lidi Bessi Kama, en roble blanche à gauche, au cours du rituel

Selon nos recoupements, la cérémonie du 19 juin 2022 était, quelque peu, une réponse à cette frustration tue au fond des cœurs des parents des victimes, ce qui serait ou devrait être le prix à payer pour retrouver les heureux rivages des victoires et des qualifications. Dans son intervention à l’issue de la cérémonie, la ministre Lidi Bessi Kama a insinué la finalité escomptée, à demi-mot mais le fond est là/ « Nous en avons tous besoin afin de retrouver une certaine sérénité dans le sport en général, dans le football en particulier dans le pays », avait-elle insinué.

Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

On peut supposer que l’intention est bonne et honnête. Si les échecs de la sélection nationale fanion de football est liée à des âmes qui crieraient au secours désespérément, pourquoi ne pas essayer ce qui est censé apaiser ces âmes ? Le rituel a été donc fait le 19 juin 2022 mais les Eperviers n’ont pas pu se qualifier pour la CAN de 2023 en Côte d’Ivoire, celle de 2025 au Maroc non plus. Les dieux auraient-ils tourné le dos aux Eperviers ? La question vaut son pesant d’or.

Pour Yves Galley, journaliste sportif, il est inutile de vouloir résoudre un problème qu’on aurait mal cerné. « Comment peut-on vouloir obtenir un résultat quand on n’a pas fait le vrai diagnostic ? Je considère que ce rituel veut résoudre un problème parapsychologique mais est-ce que c’est à ce diapason que se situe le problème ? », a-t-il indiqué avec embarras. Puis, il se fait plus concis : « Pour moi, la dimension spirituelle ne fera pas changer la fortune des Eperviers si l’on ne s’assure pas que tout est parfait au plan de la dimension physique. Les deux dimensions devraient être coordonnées pour espérer trancher le nœud gordien. » Selon les explications de Yves Galley, on ne peut pas prétendre que le rituel intervenu le 19 juin 2022 puisse produire l’effet d’une baguette magique. Il faut, en premier lieu et principalement, travailler à régler tous les problèmes de rendement de l’équipe sur le terrain.

Faisons parler les statistiques. Depuis 2022, les Eperviers ont disputé les éliminatoires de la CAN 2023, de la CAN 2025 et de la coupe du monde 2026 ; la sélection s’est spécialisée s dans les contre-performances à domicile. Des défaites qui ont coûté cher, ainsi que des matches nuls qui ont semé l’émoi et la déception au sein des supporters. En outre, en dehors des défaites et des nuls, les Eperviers n’ont gagné que les matches sans enjeu : contre la Guinée Equatoriale pour le dernier match des éliminatoires de la CAN 2025, contre le Soudan dans le cadre de la 8ème journée des éliminatoires du mondial 2026. Tous ces matches renseignent que l’équipe n’est pas compétitive, que l’effectif n’arrive pas à s’imposer et que les choix du sélectionneur ne sont ni pertinents ni efficaces. « C’est ce que j’appelle régler les problèmes au plan de la dimension physique. Ce que les joueurs proposent, ce que le sélectionneur fait comme management ne me semblent pas suffisants. L’action parapsychologique, s’il faut y croire, ne viendrait que compléter l’action matérielle, au plan de la dimension physique », fait observer Yves Galley.

Iko Rodrigue, ancien présentateur radio, n’est pas non plus très emballé par le rituel traditionnel d’inhumation des âmes des victimes du crash de Lungi. Se fondant sur les années de gloire de la sélection, 2004-2005 qui a abouti à la double qualification de la sélection à la CAN et au mondial 2006, puis 2013 avec la participation aux quarts de finale de la CAN Afrique du Sud, il fait noter que la force de la sélection était d’abord et avant tout au plan matériel et c’est sur ce levier qu’il faut agir, prioritairement. « Ce qui est notable, c’est qu’il y avait des joueurs de qualité et un coaching efficace. On avait des joueurs du cru national qui avaient des statuts de titulaires pendant que d’autres revenant d’Europe étaient sur le banc, Komla Amewou en était un exemple avant de s’expatrier, Moustapha Salifou qui avait donné du fil à retordre à Zidane et à Henry au mondial sud-coréen était joueur d’un club au Togo. Cette qualité était la force-soubassement de l’équipe. Je reconnais que la fédération faisait faire des séances de prières à différents niveaux mais cela venait appuyer le travail de l’équipe et du staff technique », a-t-il expliqué. « Pour moi donc, c’est une entreprise peu crédible, même si nous évoluons dans une société où beaucoup de choses sont liés à des paramètres parapsychologiques. Il faut d’abord régler le problème au plan des performances des joueurs, de l’envie et de l’engagement des joueurs puis s’assurer des compétences du sélectionneur et de son efficacité », a conclu celui qui est devenu depuis quelques années journaliste indépendant, après avoir participé aux éditions 2013 et 2017 de la coupe d’Afrique des nations.

Contacté pour recueillir son jugement sur la situation d’après rituel d’inhumation, un spiritualiste vodou qui a requis l’anonymat (on convient de le désigner par les initiales Z. S.) a fait remarquer qu’il y a plusieurs paramètres qui peuvent en trer en ligne de compte. « Je conviens que la procédure ainsi décrite n’est pas du tout farfelue. Dans notre univers spirituel africain, notamment sur la côte du Golfe de Guinée, la nécromancie et toutes les pratiques spirituelles inhérentes aux morts et à leurs âmes demeurent des questions sérieuses et à grands enjeux. Dans d’autres civilisations, on peut ne pas le comprendre mais ce n’est pas pour cela que ce n’est pas pertinent. Ceci dit, il ne faut pas oublier que l’issue heureuse de tels rituels dépend en premier lieu de ceux qui le font. Est-ce les bonnes personnes ? Ceux-là ont-ils vraiment la science et la vocation nécessaires ? », affirme-t-il d’entrée.

Au paramètre du statut et de la vocation du praticien, Z. S. souligne l’influence de l’état d’esprit des personnes concernées ainsi que les dispositions complémentaires à considérer et à respecter. « Dans ce monde spirituel qui est le nôtre, certaines sollicitations requièrent la bonne foi des demandeurs et surtout le respect de certaines exigences attendues pour baliser le chemin à l’accomplissement. Autrement dit, après ce rituel, il est nécessaire de faire d’autres consultations pour s’assurer qu’il n’y a pas de rituels complémentaires à faire, s’il n’y a pas urgence de créer les conditions afin que différents protagonistes se parlent et se pardonnent. Dans la langue du sud Togo, on appelle cela « sitoutou », ce qui signifie qu’on fait une libation d’eau mise à l’air libre toute la nuit et qu’on verse par terre après que les protagonistes se seront parlés, auront confessé des actes répréhensibles de sabotage ou de trahison. Dans le cas de la sélection nationale de football, a-t-on fait attention à ces paramètres ? », a-t-il souligné.

Les séances de divination auraient-elles révélé aux autorités politiques l’intérêt de ces actions complémentaires ? Tout porte à le dire, étant entendu que la ministre Lidi Bessi Kama a insinué de telles actions complémentaires dans son discours de circonstance prononcé le 19 juin 2022. Elle avait annoncé qu’il reste d’autres étapes à observer dans le processus qui venait ainsi de s’ouvrir. « Nous avons fait une partie du chemin, ce n’est pas encore fini. Il y a  des actes forts qui seront posés dans les jours à venir. Ceux qui avaient servi le football, ceux qui sont là aujourd’hui, il faut que tous se retrouvent pour se parler avec la main sur le cœur, pour se dire les vérités et conclure que « C’est fini, regardons vers l’avant », avait-elle déclaré devant les médias. Elle a conclu avec une profession de foi : « Tout cela, il le faut afin que notre patrie retrouve sa grandeur. » Contrairement aux annonces de la ministre, il n’y a plus rien eu depuis le 19 juin 2022. Serait-ce pour cela que la fortune des Eperviers n’a pas changé ?  Le dossier a été à nouveau évoqué récemment mais c’était plutôt la question des indemnisations qui a été discutée au plus haut sommet, au cours d’une visite du président sierra-léonais à son homologue du Togo. Aucune information n’avait été diffusée à l’issue de l’audience à laquelle avait assisté Paul Dodji Apevon, l’un des avocats des familles des victimes.

Wawa Ablode, pour sa part, met en ligne de compte le lieu du rituel. Selon lui, il est risqué d’avoir choisi l’enceinte du stade pour l’inhumation symbolique des âmes des martyrs de Lungi. « Quand j’y pense, je me suis demandé pourquoi les collègues ont décidé de faire le rituel dans l’enceinte du stade. Nous connaissons tous ce que représente une âme meurtrie par une mort violente. C’est pour cela qu’il y a les cimetières des mal-morts. Cela peut être contre-productif », a-t-il expliqué

Un dernier élément : un parent de victime a confié, sous le couvert de l’anonymat, que tout ce cinéma orchestré par les autorités politiques et fédérales l’amuse bien car on parle beaucoup mais on ne pose pas des actes concrets. « Nous savons que nous avons perdu des êtres bien-aimés pour toujours. Rien ne peut nous les ramener, tout le reste n’est que protocole et vanité. Mais il me semble juste et vital que ces autorités tiennent enfin leur promesses d’indemnisation », a-t-il indiqué, en sous-entendant, sourire moqueur aux lèvres, que ces autorités jouent ç un jeu dangereux des promesses non tenues et de la démagogie. J. A., un autre parent de victime, croit comprendre la pensée de son collègue d’infortune. « L’argent ne va pas remplacer les disparus que nous pleurons au quotidien. Mais on a le sentiment qu’on se fout de nous et cela creuse davantage les plaies, surtout les plaies morales qui abîment le cœur des parents. Pensez-vous que le chemin puisse être balisé pour la sélection s’il y a toujours des gens qui grincent les dents parce que leurs parents sont tombés à cause des Eperviers ? Cela peut être totalement indépendant de leur volonté mais les vibrations peuvent faire des effets », a expliqué J. A.

https://video.search.yahoo.com/search/video?fr=mcafee&p=crash+de+lungi&type=E210US91082G0#id=2&vid=c9fd4750d1b051298b8d376a3248c2d0&action=click

Les Eperviers du Togo sont vraisemblablement à la croisée des chemins. Au moment où l’opinion est dans l’émoi après après une nouvelle élimination de la sélection dames de la CAN Maroc 2026, au poment où cette opinion rumine les éliminations des sélections de catégories U17 et U20, hommes et dames, le reagrd est tourné vers la nouvelle saison. Ce sera les éliminatoires de la CAN 2027 au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie. Les éliminatoires seront sans doute plus compliquées vu qu’il n’y aura que 21 places pour 51 prétendants au lieu des 23 places habituelles. Les dieux auront-ils changé la fortune de la sélection nationale d’ici les premiers matches en mars 2026 ? Les ultras l’espèrent mais les cartésiens insistent sur une évidence :  le football se joue sur le terrain, il faut prioritairement agir sur le levier du terrain avant d’envisager d’autres paramètres. Le Togo l’apprend-il à ses dépens ?

Cérélonie d’hommages publics aux victimes du crash de Lungi en juin 2007

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *